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Cette vision le rassura. Pas pour longtemps hélas, car à peine les pèlerins avaient –ils pénétré sous la nef, que l’officier estafette qu’il avait repéré sur la route la veille fit entrer ses mercenaires à l’intérieur même de l’abbaye et disposer ses hommes sur le parvis de l’abbatiale de façon à bloquer toute tentative de sortie des malheureux qui étaient à l’intérieur. Trente soudards armés jusqu’aux dents contre une poignée de voyageurs qu’on avait désarmés. L’affaire était pliée. Les jeunes louviers étaient pris la main dans le sac.  Il attendit anxieusement la fin de la messe. Quand les premiers fidèles sortirent, il ne reconnut pas les petits-enfants de Somba. A sa grande surprise il vit l’officier et ses sbires pénétrer dans l’église pour vite en ressortir, courant partout, à la recherche d’une proie qu’ils semblaient ne pas avoir dénichée. Par quel miracle,  Tola, Cello, Ipona et Jacquouilles avaient-ils bien pu échapper à la milice expérimentée  de Crotoy ? Il s’en réjouissait mais il n’arrivait pas à y croire. Les soudards s’apprêtaient à investir le cloître lorsque surgit de l’enceinte sacrée une grande silhouette à la soutane  grise recouverte d’un scapulaire blanc et  la tête couverte   d’une capuche qui leur en interdit l’accès. L’officier regroupa alors ses hommes en dehors de l’abbaye sur la place. Ils reprirent tous leurs montures et se dispersèrent formant tout un cordon ceignant l’ensemble des bâtiments. Le ménestrel comprit aussitôt que les passagers clandestins de  la nef avaient réussi à se cacher quelque part   dans l’abbaye.

Galfand s’abîma dans ses réflexions. Quand et comment pouvait-il intervenir depuis l’observatoire où il se trouvait à la merci de la moindre patrouille qui le débusquerait ? Il se demandait s’il ne ferait pas mieux de retourner dans la Lande de Lessay afin d’en ramener le renfort nécessaire des bûcherons pour tenter d’investir de force l’abbaye et libérer ainsi tous les enfants. Mais il  doutait fort de la réussite de l’entreprise. Il ne lui faudrait pas moins d’une journée pour faire l’aller et retour, en plein jour, en tentant d’éviter  toutes les escarmouches qui ne manqueraient pas de survenir. Mais ce qu’il redoutait par-dessus tout, c’était  qu’on déplace les enfants de Scissy  ce qui ruinerait toute l’entreprise pour laquelle il s’était tant investi. Il prit le parti de risquer l’attente et guetter un appel très aléatoire venant des prisonniers même retenus dans l’abbaye. Epuisé par tant d’émotion, ivre de fatigue,  il finit par sombrer dans un sommeil sans rêve à l’abri du buisson où il s’était réfugié…


Lorsqu’il se réveilla, il n’en crut pas ses yeux. Les cloches de l’abbatiale sonnaient à toute volée.  Sur la petite place envahie par toute une foules de serfs, de manants, de drôles, de ribaudes,   de toutes sortes de femmes  avec ou sans enfants, d’oblats, de frères lais et même de quelques prébendiers, trônait sous le soleil cuisant de l’après-midi le carrosse épiscopale entouré de tout un aréopage de  diacres, sous diacres, archidiacres chanoines et autres mitrés gardés  d’une forte escorte de soudards à la tête desquels se pavanait Crotoy, jubilant.

Une colonne de moines sortit alors de l’abbaye à la tête de laquelle avançait dignement  le grand Abbé Tancrède qui, pour la circonstance, avait  revêtu, sur sa livrée grise, d’une somptueuse chasuble rouge sang barrée d’une bande dorée au beau milieu de laquelle scintillait une grande croix incrustée de diamants. Il était suivi par son prieur, les saints moines dizeniers, le moine cellérier, le frère préchantre et tous les moines d’importance de l’abbaye :

Monseigneur Allibert, évêque d’Avranches, rendait visite à sa bonne abbaye  de la Lucerne.

Les deux prélats s’embrassèrent, puis tous deux s’avancèrent devancés par le capitaine Crotoy en grande cérémonie, en avant-garde de la procession, respectant en tous points le protocole du concile.  

L’armée de Crotoy venait renforcer celle de son lieutenant Bertrand positionnée tout autour de l’Abbaye. Galfand  pensa que les choses prenaient vraiment vilaine tournure. Il décida de gagner le plus discrètement possible la petite colonie des fermiers située au nord est de l’abbatiale que lui avait conseillé son ami afin de mieux pouvoir observer depuis les toits ce qui se passait du côté du cloître de l’abbaye. Malgré la chaleur, Il se drapa dans sa grande cape pour espérer passer  davantage inaperçu dans les sous-bois de fougères et de mûriers…

De son côté, Crotoy, après avoir salué froidement Tancrède gagna la porte  où il se trouva tout de suite renseigné par son second Bertrand qui lui avoua piteusement que les louviers lui avaient glissé entre les doigts mais qu’aucun d’eux n’avaient pu quitter l’abbaye, tout le secteur étant bouclé. En aparté, celui-ci protesta contre l’abbé Tancrède qui lui avait interdit de pénétrer dans les parties communes des moines où devaient certainement se cacher les fugitifs.

L'installation d'Allilbert