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- Messire, le seigneur Abbé te fait dire qu’Allibert est en ce moment à bénir les novices au réfectoire. Il est très fâché de ne pas voir dans leur rang les enfants blonds. Il te convoque tout de suite après au logis abbatial pour y entendre tes explications…

Puis le prieur fit demi-tour, l’air glacé.

- Attends que je te réponde, grenouille de bénitier. Je veux que Tancrède me rejoigne  ici immédiatement. Les enfants  étaient sous sa responsabilité. Il  faut qu’il mette ce monastère sens dessus dessous pour retrouver  ces  petits salopiots. Je doute qu’Allibert lui pardonne cette faute que je m’empresserai de lui faire endosser …

Il n’attendit pas longtemps avant que le digne abbé de La Lucerne se présente  devant Crotoy. Les deux hommes se mesurèrent un bref instant du regard.

- Il faut donner un gage à Aldebert de Constantia, prononça d’emblée Tancrède.

-  Et comment comptes-tu t’y prendre

- Attribuons lui la prise des trois louviers. C’est Aldebert qui lui apportera sur un plateau les trois espions arrêtés dans l’abbaye. Il prétendra que ses troupes  se seraient saisi des petits-enfants du Sorcier Somba  fuyant dans une forêt  des  bords de la Sienne, en franchissant le Pont de la Roque. Le chef de bande qu’il a fait brûler ce matin. Cela expliquera sa venue surprise chez nous.

- Lumineux ! je n’y avais pas pensé. Encore faudrait-il faire taire les trois témoins !

- Cela, fais-en  ton affaire !

- Et comment  consoler Allibert  de la privation de ses petits plaisirs, je veux dire  de l’absence des enfants ?

- Tous simplement en lui expliquant notre crainte que l’évêque de Constantia ne le surprenne dans une situation plutôt fâcheuse …

- Souhaitons que d’ici-là, avec un peu de chance, les hommes de Bertrand  aient remis la main sur les fugitifs…

- Où est Allibert maintenant ? demanda Crotoy

- Je l’ai fait conduire au logis abbatial par le prieur. Mais je doute que le festin que nous lui avons préparé et les deux gentils novices que nous avons désignés pour l’accompagner ne le consolent tout à fait.

- Je vais avertir Bertrand  pour qu’il te conduise avec une escorte à la rencontre d’Aldebert. Il se chargera secrètement des trois louviers. Ceux-là ne doivent pas pouvoir communiquer avec quiconque, ficelés et bâillonnés comme saucisson. Ils penseront  être transférés  dans les caves de l’évêque à Avranches…


- Occupe-toi de l’évêque, mais je te préviens Crotoy, ne t’avise pas à  ruiner mon crédit auprès de lui, il me reste moi aussi quelques jolies histoires que je pourrais lui conter à ton sujet…

Ils se séparèrent dans une atmosphère  de méfiance réciproque   …

Revenu dans les appartements de l’abbé, Allibert ne pouvait pas voir tout le remue-ménage qui secouait l’abbaye où chaque moine, chaque frère-lais se lançait à la recherche des enfants disparus. On avait écarté les frères-convers profondément troublés, après la bénédiction de l’évêque et la distribution des pains dans le réfectoire, par la disparition du jeune Flodoard, leur jeune congénère qu’ils savaient battu et humilié par le frère Pitancier mais surtout  par les rumeurs  qui circulaient sur la fuite des enfants prisonniers dans les caves. En guise de pénitence, on les avait mené à réciter leurs prières dans la grande nef  sous la surveillance du frère préchantre et du maître des novices en attendant les complies.

Les fugitifs que personne n’avait encore pensé à chercher dans le lavoir où ils étaient restés immergés, trouvaient le temps long. Complètement transis dans une eau glacée, il leur semblait que leurs poumons allaient exploser, malgré les fins roseaux creusés qui leur permettaient à peine de respirer. Ils n’osaient en aucun cas relever la tête, ne serait-ce qu’un instant, pour expirer d’un coup  tout l’air vicié qui encombrait leurs bronches. Ils attendaient le signal hypothétique du paysan qui les avait dissimulés. Au bout d’un moment,ayant constaté que Crotoy et l’évêque avaient regagné le logis abbatial, encadré par le frère-prieur et deux enfants de chœur en surplis, et que les moines concentraient leurs recherches sur l’intérieur des bâtiments sans prendre garde aux trois serfs qui terminaient leurs travaux dans la pommeraie, le frère-lais se rapprocha de l’abreuvoir sur le bord duquel il se pencha, faisant semblant de boire :

- C’est le moment de vous échapper. Dès que vous aurez remonté la gouttière qui descend du canal, progressez à couvert dans l’aqueduc en restant bien couchés dans l’eau. La hauteur des piliers  permet de franchir le mur d’enceinte du domaine par un petit tunnel situé à une centaine de mètres à droite. De là vous vous entrerez en forêt où vous pourrez vous dissimuler aisément. Mais attendez la nuit avant d’emprunter les chemins, il ya des patrouilles partout.  

L'appel du cor